La Caricature du Mois d'Avril 2015 par Roland Hours

La Caricature du Mois d'Avril 2015 par Roland Hours
Actualité / Dessin

Roland Hours vous propose la Caricature du mois sur votre site d'Actualité www.Planete-Ardechoise.com !
Retrouvez chaque mois une nouvelle caricature.

HISTOIRE D’EAU
Extrait du livre ‘Joyeuse souvenance’ de Roland Hours

En 1954, un petit tuyau de plomb venait mettre fin à des milliers de seaux de sueur. Après avoir cassé le rocher, éventré le chemin et fendu la terrasse, il s’était faufilé le long du mur de la cuisine jusqu’à la pierre à évier. Quelques jours plus tard, dans la pénombre des volets tirés contre la chaleur de l’été, rutilant comme un joyau : le robinet. « Trop neuf, trop beau - Pourvu qu’il ne fuie pas - Tu es sûr, il m’a semblé voir tomber une goutte - Non c’est impossible, c’est le plus cher - Ferme- le un peu plus - Non ça va abîmer le joint - Il est neuf, il va s’y faire. »

Cette goutte, larme d’émotion, tout le monde l’avait ce jour-là. Hier encore, aller chercher de l’eau pour la journée était une mission fort pénible bien que nécessaire. Moi aussi je voulais y aller. On me répondait que j’étais trop petit alors que c’était les arrosoirs qui étaient trop grands. La maison était en haut d’une petite colline et la fontaine en bas. Les arrosoirs descendaient donc vides pour remonter pleins ; terrible logique.

Mon grand-père Marcel s’acquittait fort bien de cette tâche. Valorisante car d’utilité vitale pour la famille, distrayante car du temps que les récipients se remplissaient, il était bon de discuter avec les voisins, à l’ombre, accompagné du gargouillis de l’eau.

Mais désormais nous avions l’eau courante. Eau courante la mal nommée car elle ne courait que pour la vaisselle et pour notre toilette. Tout autre service comme la lessive ou l’arrosage des fleurs provenait de l’eau d’en bas : économie oblige ou habitude qui ne veut pas mourir.

Une fois par semaine, c’était ma grande toilette. L’opération se déroulait dans la cuisine, près de l’évier, dans une grande bassine aux reflets écaillés d’argent galvanisé. Nu, debout, l’eau jusqu’aux mollets, dans une main un énorme savon de Marseille que mes petits doigts avaient toujours beaucoup de mal à saisir, de l’autre un gant éponge. Je devais être très concentré. Voici la méthode : la règle d’or, aller toujours du haut vers le bas. Après avoir bien savonné le gant, commencer par se frotter très fort le visage, le cou, les bras, le thorax, le ventre, les fesses, l’oiseau, les cuisses, les mollets puis les pieds.

Pour les pieds, les sortir évidemment l’un après l’autre (sinon c’est la chute assurée) à la manière du flamant rose. Bien rincer le gant, l’essorer plusieurs fois, et vite, vite, vite, rincer le tout car le savon commence à ‘tirer’. Pour ce rinçage, suivre le même processus du haut vers le bas. Pour s’essuyer même combat. Les pantoufles ont été bien disposées tout près de la baignoirette, pas trop quand même pour qu’elles ne soient pas aspergées d’eau savonneuse, mais pas trop loin  pour que les pieds, bien qu’essuyés et encore moites, se glissent à l’intérieur sans attraper la poussière du carrelage.

Une fausse manœuvre aurait anéanti un quart d’heure d’intense effort. L’eau sale (et oui elle était sale) était récupérée par ma grand-mère Julie qui  à l’aide d’une casserole d’aluminium distribuait cette boisson mousseuse dans les pots de géraniums. Le seul jour de la semaine où les fleurs avaient droit à de l’eau courante. Je crois qu’elles auraient préféré attendre la pluie !

Roland Hours


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